[PARIS] La torture au Moyen Âge
Second Café Histoire sur la torture au Moyen Âge. En raison d’un très forte demande pour ce Café Histoire, Madame Faustine Harang a accepté de revenir en juin 2019. Merci à elle !
Que d’idées reçues conservons-nous aujourd’hui sur la pratique de la torture au Moyen Âge ! Mais que sait-on réellement de cette pratique ?
Elle était un outil dans la procédure pénale médiévale, mais les juges, et notamment le Parlement de Paris, n’avaient de cesse de la limiter. Cela explique peut-être qu’elle ait connu un long déclin au fur et mesure que les preuves devenaient plus rationnelles.
Examinée au prisme de la justice royale incarnée par le parlement de Paris aux XIVe et XVe siècles, la torture médiévale s’imposait dans le cadre de la procédure inquisitoire comme un instrument légal afin de contraindre le criminel à se dévoiler. Il s’agissait de « savoir la vérité par sa bouche », l’aveu étant la clé de voûte du procès. Héritage du droit romain, ce que l’on nommait alors « question » ou « voie extraordinaire » était une démarche facultative, bien encadrée en théorie, mais dont la pratique nécessitait des ajustements : sa régulation contribua à renforcer le pouvoir de l’État justicier.
L’intervenante
Agrégée d’histoire et docteure de l’université Paris1 Panthéon-Sorbonne, Faustine HARANG est professeure d’histoire-géographie en lycée. Elle est membre du Laboratoire de Médiévistique occidentale de Paris (LAMOP). Le travail de Faustine HARANG, publié en 2017, questionne les différents aspects de la torture judiciaire dans ses dimensions à la fois pénales et techniques, culturelles et sociales, enfin politiques, afin de réévaluer sa place dans les tribunaux. C’est bien évidemment de la torture au Moyen Âge, mais également de son travail de recherche, que Faustine HARANG va nous parler lors de ce 87e Café Histoire.
Vidéo
Cadrage/Montage : Alain Plouviez. (https://www.youtube.com/Medieval1)
Compte rendu
Vaste champ d’étude, la torture médiévale concerne à la fois la justice religieuse et la justice laïque, seule cette dernière faisant l’objet de la présente intervention. La principale source continue pour l’étude de la torture aux XIVe et XVe siècles est constituée des archives du parlement de Paris, qui suppléent très avantageusement celles des justices inférieures, souvent très lacunaires. Incarnant la justice royale et couronnant la pyramide judiciaire, le parlement est en effet l’ultime cour d’appel, à laquelle remontent un grand nombre d’affaires. Ces archives peuvent notamment être complétées par des sources littéraires, comme la balade Il faut pendre les malfaiteurs d’Eustache Deschamps, qui relate le parcours de deux criminels ayant avoué leur faute après avoir été torturés.
Au Moyen Âge, la torture est considérée un moment de procédure extraordinaire qui vise à découvrir la vérité au moyen de supplices corporels. Il ne s’agit donc en rien d’une peine, donc d’un châtiment. La procédure dite d’office se fonde sur une information permettant de constater les faits et de déterminer les responsables. L’enquête repose sur une procédure ordinaire, fonctionnant principalement par audition de témoins. Les auteurs de crimes graves – meurtres, vols, rapts ou incendies notamment – sont les seuls contre lesquels la torture peut être utilisée. Celle-ci est un ultime recours, et n’intervient que lorsque tous les autres procédés ont échoué, notamment lorsque les témoignages n’ont rien donné ou lorsqu’il n’existe aucune preuve matérielle, c’est-à-dire dans environ 20 % des cas. C’est alors que le juge prononce une sentence interlocutoire devant l’accusé pour le menacer de la torture, et c’est souvent à cet instant que l’accusé avoue. Si ce n’est pas le cas, il est « despouillé tout nu » et attaché sur une table, ce qui est souvent l’occasion de nouveaux aveux.
Afin de préserver l’intégrité physique du prévenu le plus longtemps possible, il existe une gradation de la torture : on peut ainsi torturer « doulcement » ou « durement ». Les témoins sont nombreux afin de garantir la bonne tenue de la procédure, notamment un greffier, les juges, des conseillers et des médecins. Le respect des normes est en effet essentiel pour garantir la validité de l’aveu. Au-delà de l’efficacité supposée de la méthode, la souffrance et l’aveu sont considérés comme la porte du salut, la vérité étant cherchée dans le corps du prévenu.
Les illustrations représentant des scènes de torture sont très rares au Moyen Âge et révèlent les principales techniques utilisées. Les plus courantes sont l’étirement et l’eau, cette dernière consistant à faire avaler de l’eau au prévenu au moyen d’une cruche ou de couvrir son visage d’un linge mouillé, ce qui permet de préserver son intégrité physique. Tout un matériel est utilisé, avant d’être rangé dans un simple coffre. D’autres pratiques peuvent être mises en œuvre dans les justices seigneuriales, notamment l’estrapade, désignée comme « torture de la poulie » ou « de la corde ». Il existe également des modes de pression psychologique, comme l’incarcération dans des conditions d’hygiène déplorables ou le fait de présenter au prévenu les instruments de torture.
Lorsque la torture dépasse la mesure et qu’elle entraîne des séquelles physiques, elle devient « vilaine » ou « horrible », ce qui justifie un appel et peut aboutir à la condamnation du juge. À partir de la fin du XIVe siècle, la torture par le feu est interdite. Il y a également abus lorsque la torture a été utilisée pour de mauvaises raisons. Certains appels ne sont eux-mêmes pas justifiés et n’ont pour but que de suspendre la procédure. Le juge doit être bienveillant et ne soumettre un prévenu à la torture que lorsque cela est justifié : comptable devant Dieu, mettant lui-même son âme en jeu, il a pleinement conscience que la torture est une voie difficile qui peut aboutir à des aveux de la part d’innocents. Le parlement de Paris joue un rôle important de contrôle et de conseil auprès des juges, ce qui témoigne d’une mainmise progressive de la justice du roi sur les justices inférieures.
Si le prévenu n’avoue pas après trois ou quatre séances de torture consécutives, il doit être relâché. Les personnes fragiles, notamment les personnes âgées, ne sont pas censées être torturées, mais on possède quelques cas d’enfants qui ont été tourmentés. Quant aux femmes, elles peuvent également être torturées, sauf lorsqu’elles sont enceintes.
Un dernier cas doit être évoqué : celui des crimes de lèse-majesté, pour lesquels les normes habituelles ne sont plus respectées car les enjeux ne désormais politiques et concernent la raison d’État.
Documentation
Télécharger le livret documentaire distribué lors de ce Café Histoire
La torture au Moyen Âge,
un Café Histoire organisé par l’association Thucydide / Cafés Théma
Intervenants
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Faustine HARANG