[PARIS] Guerres de religions d’hier à aujourd’hui
Les guerres de religions sont-elles de retour entre Musulmans et Chrétiens ?
Le temps des médias, celui de l’instantanéité, du direct, de l’ »actuel », pourrait nous le faire penser. Dès lors que des faits violents surviennent dans quelques cités-banlieues de France ou qu’un nouveau conflit naît en Afrique ou en Asie, la religion est souvent citée comme l’un des facteurs moteurs ou déclenchant des crises.
Depuis les années 1990, le fait religieux a certes resurgit dans le paysage géopolitique et dans la vie politique de nombreux États. Mais doit-on pour autant évoquer un retour aux « guerres de religion », voire la naissance de « guerres de civilisation » au XXIe siècle ?
Cette questions se pose aujourd’hui, car l’Histoire le démontre, il y eut peu de guerres véritablement « de religion ». Les conflits opposant des confessions religieuses mêlaient le plus souvent des causes économiques, politiques, voire sociétales (l’envoi de preux chevaliers en Terre Sainte à la fin du XIe siècle avait entre autres pour objectif de délester les royaumes d’Occident de leur trop plein de jeunes nobles aux ardeurs guerrières si dévastatrices pour les populations). La religion fut — et est toujours — un prétexte moral, fédérateur (d’identité, de culture) justifiant des actions guerrières aux motifs parfois complexes (cf. les guerres récentes en ex-Yougoslavie, Tchétchénie, voire les actes de terrorisme religieux récents dans le monde).
C’est ce que souligne Odon VALLET dans son ouvrage Petit lexique des guerres de religion d’hier et d’aujourd’hui :
« L’interaction des données théologiques, économiques, démographiques et stratégiques est fort complexe. Il n’y a jamais de guerre “purement” religieuse ni de conflit étranger à la religion. Veut-on chasser Dieu des conflits qu’il revient au galop, comme dans cette “Union sacrée” décrétée en 1914 par une République française anticléricale ».
L’intervenant
Odon VALLET, historien des religions, docteur en droit et sciences des religions, chargé de cours à l’université Paris-I. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur les religions, traitées sous différents angles : historique, sociologique, culturel…
Documentation
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(Définitions ; citations ; bibliographie)
Résumé de l’intervention d’Odon Vallet
Guerres de religion ? Notion complexe. Aucune guerre n’a pour motif exclusivement la religion, mais très rares sont les guerres qui n’ont pas une dimension religieuse.
Prenez le conflit catholiques – protestants en Irlande du Nord, il a des causes religieuses, mais aussi des causes économiques, sociales, politiques complexes. En général les religieux adorent dire que les guerres de religion n’en sont pas et que ce n’est pas la faute des religions s’il y a la guerre, c’est excessif mais ce n’est pas totalement faux.
Inversement, aucune guerre dite profane n’a pas une dimension religieuse. Si on prend la guerre de 1914-18, incontestablement liée à l’ambiance nationaliste de l’époque, on ne peut pas nier la dimension religieuse, la fameuse « Union sacrée », et je vous rappelle que l’Union Française des Combattants a été créée en 1917 par Georges Clemenceau, Président du Conseil anti-clérical et le Père Daniel Brottier, directeur des Orphelins Apprentis d’Auteuil. C’était bien l’Union sacrée face au danger extérieur.
Si l’on prend un autre exemple, celui des banlieues qui flambent, il serait tout-à-fait excessif de dire que c’est un conflit religieux parce que certains des jeunes, violents, sont musulmans. Ils ne sont pas tous musulmans. On ne peut pas nier cependant que la question de la différence religieuse soit au cœur de la problématique des banlieues via l’Islam et peut être, fait entièrement nouveau, via les nouvelles églises protestantes, dites évangéliques, qui sont très nombreuses en banlieue et qui posent de véritables problèmes par rapport à la législation française. Donc aucune guerre sans religion.
Mais les religions ne sont pas toutes égales devant la guerre. Aucune n’a le secret de la paix ni le monopole de la guerre. Mais certaines sont, par leurs origines même, plus liées au phénomène guerrier ou militaire, défensif ou offensif. Et d’autres beaucoup moins. On dit généralement que le bouddhisme est pacifique. C’est assez vrai, il n’y a jamais eu de guerre de religion dans le bouddhisme, à quelques minuscules exceptions près, en Birmanie au XVIe siècle. Mais certains pays bouddhistes se font la guerre, voyez le Japon et la Chine. Et les moines Sri Lankais sont particulièrement intolérants à l’égard des Tamouls hindouistes. Aucune religion n’a le monopole de la guerre ni le secret de la paix.
Il y a deux religions qui sont, plus que d’autres, liées à la guerre, c’est le judaïsme et l’islam. Ce n’est pas un hasard si au Proche Orient des musulmans et des juifs se font la guerre, il n’y a pas que des questions territoriales, il y a aussi d’autres problèmes.
Le judaïsme en tant que religion s’est formé au cours de cinq conflits armés. Le premier, l’Exode d’Égypte, on ne sait pas quand, comment ou par quel cheminement géographique il s’est fait. Ce qu’on sait c’est que la conscience d’un peuple hébreu est probablement née à cette époque, peut être au Xe, XIIe siècle avant Jésus-Christ, on ne le sait pas. Deuxième conflit, celui contre les Philistins qui, chassés d’Égypte, sont venus sur la côte de Gaza avec leur champion Goliath face aux Hébreux et leur Arche d’alliance, qui était en quelque sorte leur arme spirituelle. C’est là probablement, entre ces marins Philistins et ces terriens Hébreux que s’est forgée la notion d’un territoire d’Israël. Ce qu’en dit la Bible est sujet à caution quant à l’histoire et quant à la géographie mais l’idéal du grand Israël est né à peu près à ce moment-là.
Troisième conflit, l’exil à Babylone, au VIe siècle avant J.C. En fait il y a eu deux exils, l’exil du Nord en Assyrie et un siècle plus tard l’exil du Sud de Judas à Babylone. C’est certainement là qu’est né le judaïsme. On ne parle de Juifs qu’à partir de l’expérience de l’exil qui a amené une relecture des textes sacrés, et peut être une écriture ou une ré-écriture des textes de la Bible. C’est l’expérience fondamentale. Bien entendu on voit les relents actuels qu’il peut y avoir entre l’Irak (Babylone), avec Saddam Hussein, le nouveau Nabuchodonosor, et Israël.
Quatrième épreuve, la guerre des Macchabées, 167 avant J.C., qui va opposer les princes grecs, successeurs d’Alexandre, qui gouvernaient Israël et tout le Proche Orient, qui vont faire Judah Macchabée. C’est à ce moment-là que l’identité juive va devenir extrêmement forte, avec notamment la question de la circoncision. Le point de départ de la guerre a été le refus des Grecs de la circoncision mais aussi la croyance en une vie éternelle. Aux Grecs qui les torturent, des frères résistants juifs disent « tu peux bien nous enlever la vie présente, notre Dieu nous ressuscitera » (2e livre des Macchabées, chap.7, verset 9).
Cinquième conflit majeur, la guerre des Juifs, au début de l’ère chrétienne, qui va voir d’abord un homme nommé Jésus vivre et mourir à ce moment-là sans prendre clairement parti ni pour les résistants Juifs ni pour les occupants Romains, et qui va voir la destruction du Temple de Jérusalem en 70 après J.C. et l’interdiction du judaïsme à Jérusalem en 135, donc le début de la grande Diaspora, et surtout la fin du Temple, des prêtres et des sacrifices. C’est la fin du judaïsme antique, assez différent du nôtre. Je rappelle que dans l’Antiquité le judaïsme était une religion prosélyte alors qu’elle ne l’est plus aujourd’hui.Ce sont ces cinq épreuves militaires qui ont forgé ce qu’on appelle le judaïsme. Il y en a eu bien d’autres après, des persécutions terribles à toutes les époques, mais le corpus doctrinal du judaïsme a été forgé à ce moment-là, puisque le Talmud lui-même est né de la Diaspora et de la nécessité de fixer par écrit un certain nombre de traditions orales à Babylone (Talmud de Babylone), et puis sur les bords du lac de Tibériade (Talmud dit de Jérusalem).
Voyons maintenant l’islam. Un homme, le prophète Mohamed, né à la Mecque, ville commerçante polythéiste avec les trois fameuses déesses, Allat (féminin d’Allah), déesse universelle, al-‘Uzza, déesse de la fécondité et puis Manat la déesse de la mort, assez liée à la pierre noire de la Kaaba d’ailleurs,. Le prophète ayant condamné les idoles, ainsi que les déesses, a été obligé de s’enfuir de la Mecque pour aller à Médine combattre contre les marchands polythéistes de la Mecque au cours de trois grandes batailles, entre 624 et 627 à peu près. La bataille de Badr, la bataille de Uhud et la bataille du Fossé. La première fois il a été victorieux, la deuxième il a été vaincu mais la troisième ça a été une victoire, il a pu rentrer à la Mecque sans combattre. En réalité, l’islam n’a pu s’implanter en Arabie que par trois combats, défensifs ou offensifs, on peut en discuter. Ultérieurement il y a eu bien entendu le grand schisme entre chiites et sunnites avec un certain nombre de batailles sur l’actuel territoire irakien, la bataille du Chameau et puis surtout les meurtres d’Ali, le gendre et cousin du prophète, et d’Hussein le fils d’Ali, meurtres qui aujourd’hui sont commémorés dans les mausolées de Kerbalah et de Nadjaf. L’histoire originelle de l’islam est une histoire sanglante. Une histoire militaire et une histoire qui a fait naître un État. L’État est né de la prédication de Mohamed qui a unifié les tribus d’Arabie dans une région qui n’avait à l’époque ni écriture ni État.
La genèse du christianisme est très différente, puisque le christianisme était un refus de la guerre « Si l’on vous frappe sur la joue droite, tendez la joue gauche ». Le christianisme a commencé par être une religion de martyrs, mais de martyrs qui n’étaient pas « kamikazes », ils n’avaient pas d’armes, ils subissaient le martyr. Ensuite, au cours des siècles, très progressivement, à partir du moment où il a conquis le pouvoir, il est devenu lui aussi une religion guerrière. La guerre n’est pas consubstantielle à la genèse du christianisme mais elle a joué un grand rôle qui a probablement culminé au XIXe siècle, à l’époque coloniale, avec ce qu’on a pu appeler la « diplomatie des canonières » et des missionnaires, dont l’un des acteurs principaux, ô paradoxe, est le très anti-clérical Jules Ferry qui a envoyé l’armée française protéger les catholiques vietnamiens en 1884 au Tonkin, ce qui lui a valu d’être renversé par la Chambre des Députés aux cris de « Ferry, le Tonkin ». La France envoyait des missionnaires catholiques, l’Angleterre envoyait des missionnaires protestants, et il y avait un lien étroit entre la puissance militaire des grands pays coloniaux et le rayonnement spirituel des principales églises.
Naturellement, au XXe siècle, avec la décolonisation, le christianisme a perdu ce caractère militaire qui avait été le sien. Je rappelle qu’en novembre 1946 la guerre d’Indochine a commencé par le bombardement de Haïphong par l’amiral Thierry d’Argenlieu, carme d’Avon, donc religieux catholique, contre l’avis du général Leclerc d’ailleurs. Aujourd’hui ce serait quelque chose d’invraisemblable.
Guerres de religions d’hier à aujourd’hui,
un Café Histoire organisé par l’association Thucydide
Intervenants
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Odon VALLET