[PARIS] L’histoire des épidémies et des maladies infectieuses
L’histoire des épidémies est inextricablement liée à l’histoire des sociétés humaines et des espèces vivantes.
Incomprises jusqu’à une époque récente (18e – 19e siècles), les épidémies et maladies infectieuses ont souvent été considérées comme une punition divine, voire une manifestation du diable. C’est ainsi qu’au Moyen Âge, lors d’épidémies de pestes, des boucs-émissaires furent souvent victimes de la fureur populaire : Juifs, “étrangers” (l’inconnu venu dune région voisine), femmes vivant en marge de la société (qualifiées de sorcières)… Ces peurs irrationnelles n’ont pas disparu de nos modes comportementaux, comme la révélée l’apparition du S.I.D.A. dans les années 1980: étaient alors stigmatisés les homosexuels, les haïtiens, puis un bon nombre de personnes vivant “en marge” de la société.
Depuis l’aube de l’humanité les catastrophes infectieuses existent, liées a l’évolution permanente du monde, aux déplacements humains, aux guerres, aux échanges commerciaux, aux conquêtes. Aujourd’hui, les grandes mégapoles à faible niveau d’hygiène, les déplacements faciles par avion, les changements climatiques nous exposent a des explosions épidémiques nouvelles.
Didier RAOULT évoque, à travers les cas de pestes et de grippes dans l’histoire, ces réactions populaires, ainsi que les causes de ces épidémies et les mesures à prendre.
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Ces dernières années ont ressuscité la peur des maladies infectieuses. Celle ci a été parfois excessive et disproportionnée, mais, dans tous les cas, elle a fait prendre conscience au public que ce risque était toujours présent. Les crises se sont ainsi accumulées, depuis les légionelloses (dues à une bactérie de l’eau) jusqu’aux infections intentionnelles, comme lors de l’attaque bio-terroriste au charbon aux États-Unis à l’automne 2001, en passant par la maladie de la vache folle liée au prion (une protéine infectieuse), les épidémies d’infections respiratoires et le virus de la grippe aviaire. Ainsi l’humanité a-t-elle pris conscience qu’elle était vulnérable face aux maladies infectieuses, et ce début de sagesse devrait pouvoir s’accompagner de mesures actives pour surveiller et détecter l’apparition de nouvelles maladies, évaluer l’évolution des épidémies et mettre en place les moyens de prévention et de traitement permettant d’éradiquer les épidémies identifiées.
Les maladies infectieuses sont l’expression d’un conflit entre les êtres vivants. Les hommes et les micro-organismes (bactéries, virus, champignons, parasites) s’affrontent parfois. Le résultat est souvent la conséquence des réactions de défense de l’homme contre la multiplication d’un micro-organisme. La maladie infectieuse est donc le fruit d’une rencontre inopportune entre un micro-organisme désirant se multiplier et un hôte qui réagit trop violemment ou qui n’arrive pas à résister à la prolifération des microbes. Comme la vie microscopique est innombrable, les maladies infectieuses sont naturelles et inévitables.
L’homme ne peut rêver d’un monde sans maladies infectieuses, pas plus qu’il ne peut rêver d’un monde sans micro-organismes. Pour donner un exemple simple, dans le corps humain, qui est constitué de milliards de cellules programmées par notre potentiel génétique, il existe plus de bactéries colonisant chacun des éléments du corps humain que de cellules liées au corps humain lui-même. Ainsi, un homme possède en lui plus de cellules bactériennes que de cellules humaines. Notre environnement est rempli de ces micro-organismes invisibles, et plus encore de virus qui constituent un monde moins bien connu et infiniment plus vaste.
Cette omniprésence de micro-organismes invisibles nous est difficile à admettre. Leur existence laisse souvent l’homme sceptique, car il ne les voit pas. Ses sens le trompent quand, par exemple, il regarde ses mains et qu’elles lui semblent propres, car il n’imagine pas qu’elles puissent être porteuses d’une infinité de microbes. Cette incrédulité est l’un des problèmes majeurs qu’il nous faut résoudre dans la prévention des maladies infectieuses. A cet égard, la prise en compte de la présence de microbes est spontanément aussi difficile pour l’homme que de se figurer que la terre n’est pas plate et que le soleil ne tourne pas autour d’elle. C’est seulement grâce à un apprentissage précoce et répété, à travers la diffusion de photos, de dessins ou de films, que l’on arrive à convaincre les enfants de la véracité de ce fait. Mais le même effort d’enseignement n’est pas entrepris en ce qui concerne les micro-organismes, et la conviction que nous vivons dans un monde qui en est peuplé (et dont la plupart sont pour nous inoffensifs) n’est encore ni généralisée, ni bien comprise, et ceci même dans le corps médical. En effet, l’apprentissage tardif de ces notions entraîne une conviction de surface qui ne se traduit pas par une véritable compréhension de la transmission des micro-organismes, comme j’aurai l’occasion de le souligner à plusieurs reprises.
Pour comprendre les maladies infectieuses, il faut garder à l’esprit trois notions essentielles :
- Nous sommes les éléments d’un écosystème complexe, dont la partie vivante la plus nombreuse est invisible ; dans un certain nombre de cas, nos interactions avec ce monde invisible produisent inéluctablement des conflits, qui nous surprendront d’autant plus que nous aurons tardé à identifier notre adversaire invisible.
- Les maladies infectieuses ne sont pas spécifiques à l’homme ; elles sont universelles. Elles touchent l’ensemble des êtres vivants, animaux comme végétaux (le phylloxéra est une maladie infectieuse). Même les bactéries peuvent être infectées par des virus (les bactériophages), voire par d’autres bactéries (les Bdellovibrios), et l’on connaît un cas de virus parasité par un autre virus (l’agent Delta).
- Les premiers médicaments anti-infectieux sont dérivés de substances naturelles mises en place dans la lutte de micro-organismes entre eux. Ainsi, la pénicilline est un produit sécrété par un champignon pour empêcher la multiplication des bactéries. La plupart des antibiotiques ont initialement une origine naturelle et trouvent leurs origines dans les luttes intestines des micro-organismes.
Les maladies infectieuses sont la plus grande cause de mortalité dans l’histoire de l’humanité. Elles représentent aujourd’hui encore un tiers des 15 à 20 millions de personnes qui meurent dans le monde chaque année. Elles représentent de très loin la première cause de mortalité dans les pays les moins développés. Jusqu’au milieu du XXe siècle, elles étaient aussi la première cause de mortalité dans les pays développés. Si les maladies infectieuses sont une cause bien identifiée de mortalité dans les périodes de paix, elles constituent en outre une cause de mortalité considérable en temps de guerre. Les épidémies ont ainsi fait plus de victimes, dans toutes les grandes guerres du passé, que l’ensemble des armes conventionnelles alors utilisées. Parmi les causes d’épidémie, le typhus (en Russie), la peste (pendant les Croisades) et la dysenterie (à Valmy) ont joué un rôle majeur. Par ailleurs, les infections de plaie ont souvent été la cause de la mort des blessés. Autant dire que le fléau des maladies infectieuses a été, jusqu’à un passé récent, le pire ennemi de l’humanité.
La cause des maladies infectieuses n’a été réellement établie qu’à la fin du XIXe siècle. Si l’on a rapidement compris, du fait des épidémies, qu’un certain nombre de maladies étaient contagieuses (la peste, les maladies vénériennes), la raison de cette contagion est longtemps restée obscure, car il était impossible, en l’absence d’élément visible, d’en déterminer les causes. Ont ainsi été évoquées les odeurs (miasmes) et les malédictions divines. Mais, au milieu du XIXe siècle, avec l’extension de l’usage du microscope, la bataille engagée autour de la « théorie du germe » comme source de maladie allait permettre, en quelques décennies, d’identifier la responsabilité de nombreux micro-organismes dans les grands fléaux humains. La bataille eut lieu sur plusieurs fronts. En France, c’est Louis Pasteur qui la mena, en donnant trois exemples très démonstratifs du rôle des micro-organismes dans les interrelations entre êtres vivants : il montra d’abord que c’étaient des levures (c’est-à-dire des champignons microscopiques unicellulaires) qui, dans la fermentation du vin, permettaient la transformation de sucres en alcool ; il montra ensuite que la cause de l’infection du ver à soie était microscopique (une microsporidie) ; il démontra enfin le rôle des micro-organismes dans choléra des poules, une maladie animale, puis dans charbon, maladie animale et humaine. Plus tard, ses essais sur la rage (maladie virale) et sa vaccination vinrent compléter ce travail. Au total, Pasteur a pu identifier un grand nombre de maladies végétales, animales et humaines déterminées par des champignons, des parasites intracellulaires eucaryotes, des bactéries et des virus, balayant ainsi tout le spectre des infections.
Repères
- La tuberculose – La tuberculose date de plus de 16 000 ans. C’est l’une des rares maladies retrouvées à la fois en Amérique et dans l’Ancien Monde, alors que les deux mondes se sont séparés il y a plus de 10.000 années lors de la formation du détroit de Béring. C’est une des rares maladies infectieuses purement humaines dont on pensait qu’elle était susceptible de dater d’avant l’isolement des hommes dans ces deux parties du monde.
- La lèpre – L’histoire de la lèpre n’a pas été élucidée, comme celle de la peste, à partir de vestiges humains mais à partir de prélèvements de bactéries actuelles étudiées génétiquement. (…) Il semble, d’après une étude récente faite par Stenard Cole, à l’Institut Pasteur, que la lèpre soit née en Afrique de l’Est, avant de commencer sa diffusion en Extrême-Orient et en Europe. Elle est arrivée relativement tardivement en Europe, d’après les données actuellement obtenues en Afrique Noire. Il est possible que son transfert d’Asie en Europe ait été le fait des armées d’Alexandre le Grand après sa conquête de l’Inde (IVe siècle av. J-C).
- La peste – La peste était définie dans les textes anciens comme une maladie contagieuse se propageant rapidement, ce qui n’a rien de spécifique. (…) La grande épidémie qui va survenir à la fin de l’Empire romain, décrite par Procope, est appelée peste justinienne (VIe siècle). De la même manière, la grande épidémie qui va envahir tout l’Occident à partir de l’Orient à la fin du XIVe siècle, et qui va causer la plus lourde mortalité connue dans cette partie monde, a été parfaitement décrite comme une maladie bubonique par le médecin d’Avignon, Guy de Chaulliac, alors médecin à Montpellier. Cette épidémie européenne connaîtra de multiples sursauts, dont le dernier en France aura lieu en 1720, à Marseille, où une grande partie de la population en sera victime. Cette peste a laissé un si mauvais souvenir qu’elle a été baptisée peste noire, du fait de la noirceur de son pronostic. La dernière grande pandémie de peste au XIXe siècle a commencé en Extrême-Orient et la recherche de son origine a fait l’objet d’une lutte acharnée entre le Français Alexandre Yersin et l’école japonaise. Yersin réussira à isoler la bactérie qui porte maintenant son nom, Yersinia pestis, à partir de ganglions et de sang de pestiférés issus de Hong Kong.
- Le virus de la grippe espagnole – Ce virus a pu être entièrement étudié sur le plan génétique, grâce à l’existence de cadavres congelés de patients morts en 1918 de cette infection grippe. Ces prélèvements ont été faits dans le grand nord américain, et nous connaissons actuellement parfaitement la séquence du virus de la grippe espagnole qui ne semble pas d’origine aviaire.
L’intervenant
Didier RAOULT est professeur de Microbiologie à la faculté de Médecine de Marseille où il dirige une unité de recherche dub CNRS et un Institut Fédératif de recherche sur les maladies infectieuses. Auteur de plusieurs ouvrages et de 800 articles scientifiques internationaux, il dirige le plus grand laboratoire hospitalier de microbiologie en France. Spécialisé dans les maladies infectieuses nouvelles, il a décrit plus de 50 organismes pathogènes nouveaux pour l’homme, dont le plus gros virus connu sur terre (Mimivirus) . Il a créé un centre collaborateur OMS sur les maladies transmises par les insectes et les tiques. Expert reconnu, il a écrit en 2003 pour le gouvernement un rapport sur le bioterrorisme et les maladies contagieuses et dirige le conseil scientifique microbiologique du laboratoire de haute sécurité (P4) de l’INSERM à Lyon.
Son site web : http://didierraoult.com/
Documentation
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(Définitions, bibliographie)
Verbatim de l’intervention de Didier RAOULT
Vous vous souvenez peut-être d’une scène d’Alice au Pays des Merveilles, de Lewis Carol. De l’autre coté du miroir, Alice court, court… au bout d’un quart d’heure elle se rend compte qu’elle n’a pas bougé. Elle demande à la Reine rouge pourquoi, celle-ci lui répond « parce qu’il faut courir tout ce qu’on peut, juste pour rester à la même place ». Ça définit les rapports des vivants entre eux. S’il arrête d’évoluer, tout être vivant, quel qu’il soit, est dépassé par tous ceux qui continuent à évoluer. On peut le voir à l’œil nu avec les animaux familiers, les plantes et, dans le cadre de la mondialisation, les choses s’accélèrent encore plus. A peu près tous les légumes que nous mangeons ont été importés à partir du 16e-17e siècle, tomates, pommes de terre, haricots blancs, on a l’impression que c’est une tradition ancienne, les tomates provençales … il y a une accélération permanente liée à la facilité des déplacements.
Ces choses que nous voyons, on a des difficultés à admettre qu’elles sont l’objet d’un mouvement permanent, mais ce qui est encore plus difficile à comprendre c’est que la plus grande partie du monde est invisible. Par exemple, pour chaque cellule humaine, nous avons dans notre corps environ 10 bactéries et 1000 virus. On n’en a pas la conscience, la perception. Si on regarde la variété du vivant, il y a moins de 20% des espèces qui sont visibles. Si on regarde les analyses grapho-génétiques on arrive à identifier à peu près 50% des gènes de ce qui est vivant, et 50% sont totalement inconnus. Là dedans la plus grande partie est virale.
Si vous notez ces deux paramètres, l’interaction permanente des êtres vivants entre eux pour essayer de se développer, se reproduire, et puis, d’autre part, le fait que la plus grande partie du monde est invisible, eh bien ça amène à des rencontres entre nous et l’invisible, c’est à dire les micro-organismes, qui sont variables dans le temps. La plupart du temps les micro-organismes ne nous font pas de mal, c’est ce que je vous disais des micro-organismes dans notre corps. Parfois ils nous utilisent, c’est une surprise qui a deux mois : par une nouvelle technique d’analyse, on s’est rendu compte que la plupart des virus que nous avons dans le tube digestif étaient des virus de plantes, et qu’on sert probablement de vecteurs pour les virus de plantes depuis très longtemps. On les utilise, puisqu’on mange les plantes et ensuite nos déchets vont sur des plantes. Il y a une partie des interactions dans le monde vivant qui nous échappe complètement et qu’on commence à peine à les appréhender ; la plupart du temps ils nous aident à digérer, ils empêchent d’autres microbes qui viennent de l’extérieur de s’implanter en étant en compétition avec eux, on les appelle des commensaux. Ils mangent avec nous, à la même table, ils ne nous embêtent pas. Et puis de temps en temps, par erreur, par hasard, ou bien parce que c’est sa stratégie de développement, sa multiplication est tellement rapide qu’elle dépasse nos capacités de répondre, il y en a un qui se multiplie et nous rend malade. Et certains se spécialisent dans les hommes, ils deviennent des agents de maladie humaine, en particulier des épidémies … Quand ils se spécialisent dans les Hommes, c’est là que l’on se trouve face à des maladies contagieuses, les hommes peuvent se les transmettre les uns aux autres, et on est dans l’explosion des maladies contagieuses. Souvent, ces maladies contagieuses, et c’est ce qui a fait souvent les grandes maladies de l’histoire, elles ont été liées aux rencontres de deux mondes, et en particulier au cours des guerres.
Une des choses qu’on a apprises très récemment, c’est que la « peste d’Athènes », dont on pense qu’elle vient à la suite des guerres médiques et des interactions avec l’Asie est due à la tiphoïde. On a fait des diagnostics moléculaires sur des squelettes d’Athéniens qui datent du Siècle de Périclès, dans des cimetières identifiés comme des charniers de catastrophes.
Il y a très peu d’épidémies qu’on soit capables d’identifier dans le passé, parce que il ne faut pas croire que l’on décrit vraiment ce que l’on voit. On décrit ce qu’on croit voir, et ce que nous croyons voir maintenant et ce que croyaient voir les Grecs , ce sont deux choses distinctes. La seule chose sur laquelle il n’y a pas de confusion dans les textes, c’est la « vraie peste ». On la reconnait parce que les maladies épidémiques dans lesquelles il y a des bubons, sont très bien décrites.
La peste médiévale était l’une des conséquences des croisades. Mais la rencontre la plus spectaculaire c’est la rencontre avec l’Amérique. Il faut bien voir que tout s’est échangé, les animaux (les chevaux, les rats apportés par les Européens se sont développés très rapidement), les légumes, comme je disais tout à l’heure, le tabac, tout cela a été mutualisé, et bien sûr les maladies infectieuses. On pense qu’à peu près 90% des Amérindiens qui sont morts dans les années qui ont suivi la conquête sont morts de rougeole et de variole, les deux grandes maladies qui les ont décimés. Et ils nous ont donné la syphilis et le typhus. On a échangé le visible et l’invisible. Ça a donné des épidémies, de part et d’autre, considérables, très spectaculaires.
Les épidémies ont probablement commencé quand les hommes ont été suffisamment nombreux sur la terre, et puis plus ils sont nombreux, plus il y a de risque épidémique. Et maintenant le risque est plus important que jamais, puisque la population a augmenté très fortement au 20e siècle. Nous sommes un milliard de plus qu’il y a dix ans. En plus, les concentrations augmentent, avec des centres urbains extraordinaires, et vous savez bien qu’on se promène d’un bout à l’autre du monde. On échange les choses à une vitesse extraordinaire et il n’est plus question de freiner ça. Il y a à peu près 500 millions de voyages par an.
Donc, les maladies infectieuses ne s’arrêteront pas. Il faut trouver comment lutter contre elles, mais imaginer un monde sans microbe est irréaliste. Il faut vivre avec. Comment a-t-on appris à le faire ? La peur est bien entendu un des éléments de survie de tous les êtres vivants, il faut se méfier des choses dangereuses, c’est très utile. Parfois on sait où est la peur raisonnable, mais souvent on ne le sait pas. Les peurs appelées irrationnelles par les savants d’un temps paraissent très rationnelles a posteriori. Par exemple, pendant le 18e siècle, la notion de contagion était très variable. Souvent les gens avaient une réaction de fuite devant le malade alors qu’on leur disait qu’ils n’avaient pas de raison d’avoir peur. Regardez la maladie de la vache folle, ça a suscité des peurs, des angoisses qui semblent totalement disproportionnées par rapport au risque, mais pour la première fois nous avons pris conscience que ce n’est plus nous qui contrôlions ce que nous mangions. On ne savait plus du tout ce qu’on mangeait. Par exemple, les juifs ou musulmans pratiquants, ou les végétariens qui mangeaient des bonbons se sont aperçus qu’ils mangeaient du porc parce que dans tous les bonbons il y a de la gélatine de porc, et on ne le savait pas. Et on avait rendu les vaches cannibales. C’était extraordinaire, quand même ! Et même si la peur a été disproportionnée, ça a provoqué la traçabilité, on sait maintenant d’où viennent les animaux, et dans les pays musulmans il y a des bonbons à la gélatine de bœuf. Il y avait une rationalité à ce mouvement de peur.
Il y a eu trois grands mutants grippaux pendant le vingtième siècle, qui ont donné des épidémies extraordinaires, donc tout le monde a peur des épidémies de grippe. L’événement qui a tué le plus d’hommes en un temps bref au vingtième siècle a été la grippe espagnole en 1918. Plus que la guerre de 1914. Ça a été négligé, on a oublié ça pendant longtemps ; on sait que l’on n’est pas bon du tout pour gérer les épidémies d’infection respiratoire. L’année dernière [en 2005] pour la grippe, la vraie grippe, il y a eu 2,5 millions de cas et 6000 morts, alors qu’il existe un vaccin. Vous vous rendez compte, s’il y a une nouvelle grippe, la capacité de notre société à contrôler une maladie contagieuse respiratoire est nulle, très mauvaise. En plus, pour la grippe aviaire, la surinformation amène à réfléchir sur comment éviter la contagion dans les infections respiratoires. Aux États-unis, on dit « attention il va peut être falloir changer les rapports sociaux, pendant l’hiver », … ici, chez moi à Marseille, les gens s’embrassent tout le temps, c’est idiot. Nos parents savaient ça, quand on est malade, on n’embrasse pas. Ce n’est pas un fantasme, la contagion, c’est la réalité. Les 2,5 millions c’est comme ça que ça s’est passé, les gens se sont touchés, ils se sont embrassés. Alors si on arrive, avec la grippe aviaire, il faut rappeler que les maladies respiratoires, surtout hivernales, sont très contagieuses, les gastro-entérites, c’est contagieux. Il y en a au 3,5 millions. Mais on néglige la contagion. On ne se lave pas les mains, on ne fait pas attention, on ne prend pas de précaution et on considère que c’est impoli de ne pas embrasser quelqu’un qui est malade.
Il y a beaucoup de rites, de règles religieuses, sociales, alimentaires, d’hygiène, qui ont été inventées dans le temps pour éviter la transmission des maladies infectieuses. Il faudra en redécouvrir, en redéfinir au fur et à mesure que des nouvelles maladies contagieuses arriveront. Chacune des modifications de notre environnement, de notre fonctionnement, nous expose à des risques qu’on ne connaissait pas avant. Parfois, c’est imprévisible. Et ce ne sont pas toujours des choses qui semblent affreuses au départ qui sont la source de maladies infectieuses.
Une des plus importantes épidémies aux États-Unis c’est la maladie de Lyme, que l’on connaît aussi en Europe, et qui est transmise par les tiques. Elle est liée au fait qu’il y a une multiplication considérable, dans le Nord Est des États-Unis, des daims et des cerfs. Les gens qui ont un peu d’argent ont des maisons en périphéries des villes, au contact des forêts, il n’y a pas de barrières, et on voit les animaux dans les jardins, ce sont presque des animaux familiers. Ils sont bourrés de tiques. C’est la même chose en France, il y a de plus en plus de cervidés. Ce n’est pas forcément parce qu’on détruit les choses, c’est que le monde évolue, il change avec nous.
Avec les maladies transmises par les moustiques c’est la même chose. Dans les villes, on crée un éco-systèmes où plein d’animaux s’adaptent, les rats, les moustiques, en particulier une espèce qui se transporte dans le monde, essentiellement dans les pneus. Il reste toujours un peu d’eau dans les pneus, et il y a des larves qui voyagent comme ça dans les containers partout dans le monde. Depuis 10 ans on a suivi leur parcours. En France, il y a 2 endroits, sur la Côte d’Azur et en Loire Atlantique, où il est implanté. Et c’est un vecteur parfait pour les maladies tropicales dont on croyait qu’elles restaient tropicales, comme la dengue ou le chikungunya ; or, ces maladies peuvent s’installer en France demain, c’est possible.
Donc le monde évolue tout le temps, le vivant, les virus évoluent tout le temps. Les risques évoluent tout le temps, il faudra faire avec. Moi, je suis né dans un pays tropical, mon père était médecin militaire. Sous les tropiques on connait ça, il ne faut jamais laisser une flaque d’eau parce que les moustiques s’y multiplient. On fait la chasse à l’eau stagnante. C’est ce qui s’est passé à New York : on s’est rendu compte qu’il y avait des dizaines de milliers de foyers de moustiques parce qu’il y avait de l’eau stagnante qui n’était pas traitée, et la première chose c’est d’empêcher l’eau stagnante à proximité des maisons.
La densité de population et les déplacements, ça ne diminuera pas. Mais la bonne nouvelle c’est que nos moyens de lutte face à ça sont extraordinaires. Pour le SARS par exemple, entre le moment où l’épidémie a été déclarée par l’OMS et le moment où le virus a été cultivé, identifié et les premiers médicaments testés, il s’est passé 4 mois. La vitesse du monde scientifique est absolument colossale. Les dangers ne sont pas du tout ceux qu’on avait avant, parce qu’on a les moyens de répondre, mais le problème c’est la capacité de détection. Plus c’est détecté tôt, plus la réponse est adaptée, l’expérience montre qu’on arrive à les contrôler. Plus on les détecte tard, plus c’est difficile de contrôler parce que c’est exponentiel.
Voilà les quelques éléments que je voulais vous apporter ce soir.
Trois ans après ce Café Histoire, l’association Thucydide organisait un Café Médias sur le thème :
« Entre information et peurs collectives : grippes et épidémies dans les médias »
L’histoire des épidémies et des maladies infectieuses,
un Café Histoire organisé par l’association Thucydide
Intervenants
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Didier RAOULT