[PARIS] L’Iran, puissance régionale ?

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François GÉRÉ - L'Iran et le nucléaire, les tourments perses - Café Histoire

[PARIS] L’Iran, puissance régionale ?

A l’occasion du Café Histoire du 25 octobre 2006, l’association Thucydide présentait le dernier ouvrage de François Géré, L’Iran et le nucléaire, les tourments perses.

François GÉRÉ - L'Iran et le nucléaire, les tourments persesPlus de 45 personnes ont pu écouter l’invité et bon nombre ont posé des questions sur l’Iran et le contexte international, démontrant ainsi que la curiosité n’est pas forcément un vilain défaut.

La plupart des questions visaient à mieux comprendre le mode de fonctionnement du système politique iranien, ainsi que le rôle réel que joue l’Iran dans l’une des régions les plus sensibles de la planète.

François GÉRÉ, lors de son exposé a permis de remettre en question de nombreux clichés sur l’Iran et la société iranienne, clichés trop souvent véhiculés par des médias en quête de spectacle, de sensations fortes et d’audimat.

L’intervenant

L'iran puissance régionale - Café Histoire avec François GéréFrançois GÉRÉ est président de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS), dont il fut également le fondateur, et directeur de recherche à l’Université de La Sorbonne. Ses derniers ouvrages publiés sont La Nouvelle Géopolitique. Guerres et paix aujourd’hui (Larousse, 2005), Les Volontaires de la mort (Bayard, 2003) et L’Iran et le nucléaire, les tourments perses (Lignes de Repères, 2006).

Définitions

  • Ayatollah(“Signe de Dieu”) : membre du clergé chiite de haut rang, digne de pratiquer l’ijtehad, exercice d’interprétation.
  • Bassidji (“mobilisés”) : ce terme a désigné pendant la guerre contre l’Irak les engagés volontaires qui se sont mobilisés pour partir sur le front. Il se réfère aujourd’hui, entre autres, à une branche des Gardiens de la Révolution composée de volontaires, plutôt jeunes, et non militaires.
  • Gardiens de la Révolution : corps militaire créé au lendemain de la Révolution et contribuant à la Défense nationale aussi bien qu’à l’ordre public.
  • Guide suprême : c’est le véritable chef de l’État. Il dirige les organes clés du pouvoir et est commandant en chef de l’armée. Selon les termes de la Constitution, il est le chef absolu (depuis 1989, Ali Khameneï est le Guide suprême de la République islamique).
  • Hezbollah (“Parti de Dieu”) : désigne en Iran une fraction des plus radicales des partisans de la République islamique. Au Liban, le Hezbollah est un parti islamiste chiite soutenu par Téhéran.
  • Imam (“Guide”) : personne qui dirige la prière en commun. C’est de préférence la personne qui est la plus instruite dans les connaissances des rites de l’islam. Pour les chiites, tenant d’une tradition cléricale de l’islam, l’imam est le guide spirituel et temporel de la communauté islamique, ainsi que le nom donné aux successeurs du Prophète et à ceux d’Ali.
  • Majlis : Parlement.
  • Mollah : clerc, membre du clergé. Ce terme désigne plus généralement le lettré, l’enseignant, et par extension les savants religieux.
  • Pasdarans : gardiens de la Révolution.
  • Seyyed : descendant du Prophète. Les mollahs portant un turban noir sont des seyyed.
  • Velayat-é faqih (“Tutelle du juriste”) : théologien, clé de voûte du système politique de la République islamique. Ce concept désigne le Guide suprême comme la plus haute autorité du pays.

Documentation

Télécharger le livret documentaire distribué lors de ce Café Histoire
(Définitions ; données générales ; organigramme des institutions ; portraits ; cartes ; chronologie succincte ; biblio-webographie)

Café Histoire L’Iran, puissance régionale avec François Géré

Verbatim de l’intervention de François Géré

Le monde d’aujourd’hui [2006] est agité de troubles qui pourraient prendre une dimension considérable, en relation plus ou moins directe avec l’évolution de la situation iranienne. Je n’ai pas besoin de vous rappeler ce qui s’est passé au Sud Liban cet été, et sur l’ensemble du Liban. Nous avons aussi une situation interne palestinienne qui est extrêmement grave. Nous avons une situation israélo-palestinienne qui est particulièrement grave, nous ne voyons aujourd’hui aucun élément de règlement de l’ensemble de ces affaires.

J’avais cet après-midi une discussion avec un certain nombre de diplomates sur la situation syrienne, et personne n’était capable de dire s’il valait mieux soutenir Bachir al Assad plutôt que de chercher à le déstabiliser, parce que si on déstabilise Bachir al Assad on va voir arriver au pouvoir les Frères Musulmans qui vont éliminer la minorité dirigeante alaouite, ça risque de se produire de manière passablement violente et là encore ce serait un théâtre de déstabilisation, avec des réactions sur le Liban.

Ce qui me préoccupe c’est qu’on s’est engagé dans des impasses dont on est incapable de sortir. Quand je dis « on », c’est les États Unis, Israël, et un certain nombre de factions extrémistes.

Je reviens à l’Iran. On se trouve à nouveau devant une impasse, le fait d’aller devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour voter des sanctions dont on sait déjà qu’elles n’auront aucune influence réelle sur la position diplomatique de l’Iran, donc sur le programme nucléaire iranien, ce n’est pas une perspective très réjouissante.

On a le sentiment qu’on est aujourd’hui dans une crise internationale, voire une crise mondiale, qui est au moins aussi grave que ce que nous avons connu en 1973 au moment de la guerre dite du Kippour et de la très brève crise qui est passée quasiment inaperçue. Elle a duré trois jours mais elle a confronté très durement les États Unis et l’Union  Soviétique. Ce que tout le monde a vu c’est le choc pétrolier de 1973. Aujourd’hui c’est aussi grave, et même probablement plus grave, parce que ça touche davantage de pays, on n’est plus dans le cadre d’un conflit régional limité entre Israël, l’Égypte et la Syrie, mais dans un ensemble beaucoup plus enchainé, beaucoup plus répandu à travers le monde.

Et puis ça évoque le problème des sanctions votées contre la Corée du Nord. Ces sanctions ne peuvent déboucher sur rien. C’est une manifestation de grande mauvaise humeur, bien entendu, de la part des membres du Conseil de Sécurité, mais ça ne va pas beaucoup plus loin. La Corée du Nord n’est pas pénalisée économiquement, elle ne se voit pas coupée de ses approvisionnements alimentaires ou énergétiques, précisément parce que la Chine, le Japon, la Corée du Sud déclarent qu’il ne faut surtout pas faire ça. On a toujours une diplomatie américaine qui parle haut et fort de sanctions dures, mais qui est incapable, 1. de les faire adopter, et 2. de les faire appliquer quand bien même elles seraient adoptées.

Ça pose un problème très grave qui est celui de la crédibilité des Nations Unies. Je ne suis pas un onusien absolument fanatique, mais je suis obligé de vous dire que ce qui s’est passé en 2002-2003 à propos de l’Irak a montré que le Conseil de Sécurité avait un rôle à jouer et que c’est la seule instance à travers le monde qui peut dire qu’une action militaire est légitime ou ne l’est pas. Si vous passez par dessus le Conseil de Sécurité vous êtes illégitime et ça a des conséquences considérables pour la suite d’un conflit quand vous vous y engagez.

Aujourd’hui les États-Unis, les Britanniques, tous les pays qui sont en Irak sont, du point de vue du droit international, dans une situation littéralement intenable, alors que, un an auparavant, ça s’était plutôt bien passé lorsqu’il avait été question de renverser le régime des Talibans en Afghanistan. On a eu une résolution unanime du Conseil de Sécurité, une action légale, aujourd’hui on a des opérations des Nations Unies en Afghanistan qui, vous allez me dire, est en train de très mal tourner, oui, ça tourne mal et c’est encore une raison de pessimisme supplémentaire parce que d’ici quelques semaines, les opinions publiques, les hommes politiques vont se demander ce qu’on fait, pourquoi est-on encore là-bas ? Pourquoi voit-on les Talibans reprendre le chemin de la guérilla ? Pour le moment les pertes ne sont pas très lourdes, mais l’objectif n’est pas clair et les pertes vont vite s’avérer intolérables.

En ce qui concerne l’Iran, je crois qu’il n’est pas possible d’isoler la situation iranienne. Les Iraniens ont des moyens d’action sur l’ensemble des théâtres que je viens d’évoquer : au Liban, en Palestine (par l’intermédiaire du Hamas), en Afghanistan et en Irak. Ils ont passé des accords de défense en février 2006 avec la Syrie et la question du nucléaire iranien est totalement indissociable de la situation globale du Proche et du Moyen Orient. Il faut bien garder cela à l’esprit.

L’Iran est un pays qui est animé depuis de très nombreuses années, depuis bien avant la révolution khomeïniste, depuis le Shah d’Iran, il est obsédé par l’idée de reconquérir un rang important dans la région. Ceci, sur la base de souvenirs historiques de la Perse, de fierté culturelle, et aussi d’une certaine forme de mépris à l’égard des Arabes et à l’égard des Turcs. Ça a conduit le Shah à une politique de prestige et à une volonté de développer une industrie électro-nucléaire civile. Il a cherché à la développer avec tous les pays avec lesquels l’Iran avait de bonnes relations à l’époque, entre 1972 et 1979. A l’époque, lorsqu’il s’est agi d’aider l’Iran dans ce projet, personne ne s’est posé la question de savoir s’il y avait une légitimité au développement de cette activité industrielle. Tout le monde est venu, les Américains, les Canadiens, les Allemands, les Russes et naturellement aussi, les Français. C’est la raison pour laquelle on a signé un certain nombre d’accords de coopérations très importants avec le gouvernement du Shah.

On croit parfois que la révolution khomeïniste a mis un terme à cet effort nucléaire, c’est tout à fait inexact. Il y a eu un conflit parce qu’il y avait le problème des capitaux qui avaient été versés… notamment avec la France. Mais la révolution iranienne est restée sur cette ligne, le développement de l’industrie nucléaire iranienne.

Les difficultés sont venues à deux niveaux, le premier c’est la rupture des relations avec certains pays occidentaux, notamment les États Unis, mais aussi la guerre de 8 ans avec l’Irak. Cette guerre, venue d’une agression caractérisée de l’Irak, a évidemment fortement marqué les Iraniens, ; cette guerre a fait des dizaines de milliers de victimes. Et puis ils se disent qu’ils ont été attaqués, mais aussi attaqués avec l’usage d’armes chimiques.

Les Iraniens gardent l’idée que s’ils avaient eu, à cette époque-là, l’arme nucléaire, personne ne les aurait attaqués et personne n’aurait osé utiliser les armes chimiques contre leurs villes et leur population. C’est une donnée qu’il faut garder présente à l’esprit. Pour toutes ces raisons, l’Iran a fait l’objet d’une sorte d’ostracisme, notamment de la part des États-Unis, dans le domaine nucléaire et les Iraniens se sont mis à développer leur activité industrielle, qu’ils considèrent comme légale : ils sont membres du Traité de non-prolifération, ils ont signé des accords de contrôle avec l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) qui procède à des vérifications sur place, dans les usines et les centres de recherche nucléaire iraniens. Et puis, un beau jour d’août 2002, alors que la crise irakienne était déjà très largement entamée, et que tout le monde savait que l’armée américaine avait pris position pour déclencher la guerre (c’était seulement une question du choix du mois et de la stratégie de retardement française au Conseil de Sécurité des Nations Unies), lors d’une conférence de presse d’un groupe d’opposition iranien (qui soutient Washington), ce groupe produit des photos satellitaires (qui évidemment émanaient des services de renseignement américains) et qui montrent l’existence d’un certain nombre d’équipements nucléaires, notamment d’enrichissement d’uranium, qui n’avaient pas été déclarés par l’Agence iranienne de l’énergie atomique à l’AIEA, ce dont elle avait l’obligation. Les Iraniens sont pris en flagrant délit et la crise est désormais ouverte.

L’Union Européenne, représentée par trois pays, la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne, a essayé de résoudre cette crise en engageant un dialogue avec l’Iran. Se sont engagées des négociations très compliquées, déjà négocier entre Européens ce n’est pas simple, et les Iraniens sont de très bons négociateurs, mais ce sont des diplomates incroyablement compliqués. Et on est parti sur une espèce de malentendu délibéré.

Les Européens ont obtenu la suspension des activités d’enrichissement d’uranium par l’Iran. Ils avaient l’idée que cette suspension n’était que la première phase d’un arrêt complet des activités d’enrichissement, alors que pour les Iraniens il n’était pas question de négocier un arrêt complet puisque leur raisonnement repose sur l’idée que leur souveraineté suppose le droit à une activité nucléaire civile et pacifique, et qu’il faut leur reconnaitre ce droit. Il peut y avoir des modalités de contrôle, toute une série d’interventions internationales sur ce programme, mais le principe ne peut pas en être nié. On a en fait négocié pendant deux ans pour finalement, en août 2005, se rendre compte que c’était un dialogue de sourds, et les négociations ont été rompues.

Quelques semaines plus tard, le Président Ahmadinejad a été élu, c’était l’ancien maire de Téhéran. La situation diplomatique s’est incontestablement dégradée en raison des déclarations particulièrement fracassantes qu’il a faites sur l’existence de l’État d’Israël, qui évidemment ne favorisaient pas la reprise de discussions quelconques. Il n’en demeure pas moins que, constatant qu’on était dans une impasse, on a laissé passer un peu de temps, et un dialogue a repris vers février de cette année. Ce dialogue a pas mal avancé, les Iraniens ont accepté des conditions qui préservaient leur droit souverain et leur personnalité juridique sur la scène internationale, mais ils semblaient disposés à faire un certain nombre de concessions sur la manière dont leurs activités seraient contrôlées. Et puis, pour des raisons difficiles à comprendre, mais qui sont liées à l’attitude extrêmement négative de l’Administration américaine, les perspectives d’un accord qui semblait assez proche ont à nouveau capoté et aujourd’hui on en est revenu à l’impasse. L’Union Européenne a fait savoir qu’il était indispensable d’envisager des sanctions par le biais du Conseil de Sécurité des Nations Unies contre l’Iran.

Je conclurai sur trois réponses qui anticipent vos questions.

  1. Les Iraniens ont-ils véritablement besoin d’avoir une industrie nucléaire ? Un pays qui aura 80 millions d’habitants dans quinze ans, qui est un pays en voie de développement, avec une carence encore énorme, qui a des besoins électriques monstrueux, qui veut préserver pour l’exportation ses énergies fossiles non-renouvelables, a tout intérêt à développer sur le long terme des énergies alternatives, dont fait partie le nucléaire.
  2. Les Iraniens ont-ils des arrière-pensées en matière de nucléaire militaire ? Ce serait difficile de ne pas le croire. Ils doivent penser que grâce au nucléaire ils peuvent sanctuariser leur territoire, le mettre à l’abri d’une agression américaine qui constitue, encore une fois, une hypothèse sur laquelle les Iraniens sont obligés de travailler. Il serait difficile d’expliquer que l’Iran est à l’abri, alors que l’Irak qui n’avait rien du tout en matière d’armes de destruction massive a été attaquée, et que le Conseil de Sécurité a été totalement incapable de protéger la souveraineté de l’Irak. Il est incontestable que l’acquisition par l’Iran de l’arme nucléaire présenterait des avantages non négligeables.
  3. Des sanctions ont-elles des chances d’être efficaces ? Comme vous le savez, deux États, la Chine et la Russie, on fait savoir qu’ils ne voulaient pas de sanctions lourdes contre l’Iran. Dans ces conditions on aura peut être des sanctions, mais qui ne mordront absolument pas sur l’économie iranienne et qui auront juste pour effet de légitimer la position diplomatique de l’Iran et la décision, éventuellement, de fermer la porte aux inspecteurs de l’AIEA, et même peut être de se retirer du Traité de non-prolifération, voire de s’engager à toute allure vers un programme militaire qui n’aurait même plus besoin d’être clandestin. Nous sommes aujourd’hui à nouveau dans une impasse.

Y a-t-il des options militaires contre l’Iran aujourd’hui ? La réponse est non, pour toute une série de raisons que je ne vais pas développer. L’Iran a une véritable armée, l’Iran a une capacité de nuisance dans la région qui sont absolument considérables,  comme je vous l’ai dit, les États-Unis sont totalement empêtrés en Irak, les Israéliens ont totalement loupé leurs objectifs au Liban cet été, donc il n’y a pas d’option aérienne ni terrestre, qui n’aboutirait à rien. Les Iraniens enterreraient juste un peu plus profond la prochaine fois les installations qui auraient été touchées, et on déboucherait sur une crise internationale sur le prix du gaz, du pétrole etc. et rien d’autre. Je pense qu’aujourd’hui il n’y a pas d’autre solution que de rétablir le dialogue et d’aboutir à un régime de contrôle fiable des activités nucléaires de l’Iran.


L’Iran, puissance régionale ?
un Café Histoire organisé par l’association Thucydide

L'historien face aux animaux - Cafés Histoire - Association Thucydide Cafés Théma

Date

25 octobre 2006

Heure

19 h 30 - 21 h 00
Catégorie

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