[PARIS] La barbe, symbole de pouvoir ou de sauvagerie ?
« La barbe est devenue le jouet des caprices des hommes. Sacrée chez les Hébreux et chez les premiers Chrétiens, condamnée avec chaleur par quelques Papes, protégée spécialement par d’autres, elle fut successivement regardée par l’Église comme une hétérodoxie révoltante, ou comme le symbole de la sagesse et de l’humilité chrétienne . »*
Cité par Marie-France Auzépy et Joël Cornette dans leur Histoire du poil, ce texte illustre, comme bon nombre d’autres citations présentes dans leur ouvrage magnifiquement illustré, l’attrait que l’on a pu avoir dans l’histoire pour les boucs, mouches et autres barbiches.
Même chez Molière, on retrouve une mention de l’importance qu’il y a à porter la barbe pour les hommes :
« Votre sexe n’est là que pour la dépendance ;
du côté de la barbe est la toute-puissance.»
Molière, L’École des femmes, 1662
La barbe est un signe de maturité et de virilité. Les héros, les rois et les dieux, quand ils ne doivent pas être explicitement représentés enfants ou adolescents, ont toujours une barbe. La reine égyptienne Hatshepsout était souvent représentée avec une fausse barbichette pour indiquer ses fonctions. Il arrive que les femmes portent un tatouage en forme de barbe, comme par exemple chez les primitifs Ainu dans le nord du Japon. Dans la Chine ancienne, une barbe rouge était un signe de courage et de force. Bien que les Chinois aient par nature une barbe assez peu fournie, les hommes célèbres sont toujours représentés barbus. En Amérique centrale, à l’époque précolombienne, la barbe n’était guère d’usage, sauf chez certains dieux tel Quetzalcoatl (Kuculcan chez les Mayas, c’est-à dire le serpent à plume). On trouve également dans les civilisations de la région des Andes des statuettes de glaise représentant des dieux avec une longue barbe ; certains chercheurs y voient l’indice de contacts antérieurs avec des navigateurs originaires d’Europe.
Bref, l’histoire de la barbe est d’une richesses inouïe, révélatrice de l’importance attribuée au pouvoir des hommes.
Ce mardi 22 mai 2012, l’association Thucydide a partagé avec vous cette histoire plus que curieuse et méconnue, avec la complicité de Marie-France AUZÉPY.
L’intervenante
Agrégée d’histoire, professeure émérite à l’Université Paris VIII, Marie-France AUZÉPY est spécialiste de l’histoire byzantine et en particulier de l’histoire de l’iconoclasme.
L’ouvrage, Histoire du poil : très documenté, cet ouvrage s’attache à retracer la place du poil dans la perspective d’une histoire qui remonte au VIe millénaire avant Jésus-Christ, nous découvrant la multiplicité de la vocation du poil à travers les époques et les continents. Le poil a servi de signe politique, social, éthique et religieux, que ce soit dans l’islam et dans la chrétienté. Ce livre fournit un kaléidoscope des traces de cette histoire : de Sumer à Babylone, dans la France de Louis XIV, quand tout le sexe mâle porta perruque, dans la Chine mandchoue, où tous les sujets chinois devaient porter la natte, lors de la Première Guerre mondiale avec la glorification des Poilus, sans oublier la Turquie contemporaine tiraillée entre Mustapha Kémal et l’islam, ce qui a des conséquences sur la forme des moustaches… Mais ce livre touffu explore aussi les marges de l’histoire avec les eunuques byzantins ou les malheureux atteints d’hypertrichose – cette maladie qui se manifeste par une pilosité envahissante sur une partie du corps ou sa totalité – et présentés comme des monstres. La linguistique, l’anthropologie et la psychanalyse ne sont pas en reste de cette histoire complexe. Le lecteur aura l’occasion de découvrir l’effrayante plasticité du poil dans la langue, suivra la façon dont l’homme perdit ses poils de bête, et comment les freudiens ont soigneusement mis de côté les poils, pourtant exhibés sur le menton du père fondateur.
Documentation
Télécharger le livret documentaire distribué lors de ce Café Histoire
(Définitions, exemples multiples, iconographie, références d’articles)
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* Jacques-Antoine Dulaure, Pogonologie (en grec, barbe se dit pôgôn), ou Histoire philosophique de la barbe, édité à Constantinople en 1786.
La barbe, symbole de pouvoir ou de sauvagerie ?
un Café Histoire organisé par l’association Thucydide
Intervenants
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Marie-France AUZÉPY