La propagande russe est-elle différente de celle d’autres États autoritaires ?  Quelles sont ses particularités ?

En l’espace de 30 ans, l’Europe et le monde occidental ont vite fait d’oublier la rhétorique soviétique, les mots du totalitarisme russe qui faisaient parfois rire, tellement ils étaient caricaturaux d’un système devenu paranoïaque, à l’instar de ses dirigeants, et notamment de Staline.

En 1991, alors que l’Union soviétique disparaissait officiellement du paysage géopolitique, certains penseurs clamaient la « fin de l’Histoire »… C’était ignorer naïvement l’existence de la mémoire, ainsi que les inévitables répliques de l’Histoire.

Non, l’Histoire n’avait pas pris fin, comme allait le démontrer Vladimir Poutine dès le début des années 2000. Ses discours de plus en plus enflammés contre un « Occident décadent », son obsession d’une « Europe de la Gay Pride et du SIDA », étaient déjà une reprise de l’image que l’Union soviétique avait créée d’un Occident dépravé, menaçant la Russie de toutes parts, politiquement, militairement, économiquement, culturellement.

Vladimir Poutine, tout comme un Staline mythifié, se veut le sauveur d’une Russie éternelle défendant les valeurs traditionnelles, en mettant à nouveau en place à tous les niveaux de la société une propagande vantant une réalité idéologique de plus en plus éloignée de la « réalité réelle ».

En l’espace d’un siècle, la rhétorique et le vocabulaire parfois ordurier sont demeurés à peu près les mêmes : agression, menace impérialiste ou fasciste, voire nazie, conspiration, décadence de l’Occident, campagnes de désinformation massives contre une Russie agressée et perpétuellement menacée, renaissance d’une cinquième colonne, menace des ennemis de l’intérieur, d’où une nécessité de purification, etc.

Les règles de la propagande demeurent à peu près les mêmes depuis un siècle. Mais les outils et méthodes de la propagande russe, eux, ont évolué pour servir une nouvelle guerre idéologique qui revêt une forme hybride. Les technologies du 21^e siècle permettent d’atteindre en quelques fractions de secondes une masse considérable d’individus sur toute la planète. Les possibilités de détourner le réel, voire de fabriquer une « réalité alternative », se sont accrues grâce à des instruments incroyablement sophistiqués.

À l’heure où la « Russie éternelle » de l’ère Poutine fait resurgir du passé des méthodes de propagande que l’on croyait – naïvement – disparues, les Cafés Histoire de l’association Thucydide proposent de faire le point sur les spécificités de cette propagande russe de 1917 à nos jours avec l’historien spécialiste de la propagande David COLON, Professeur à Science-Po.

L’intervenant

David COLON est professeur agrégé d’histoire et chercheur permanent à Sciences Po, où il enseigne notamment l’histoire de la propagande, les techniques de persuasion et l’éthique de la communication. Il vient de publier chez Tallandier un ouvrage magistral, Les Maîtres de la manipulation. Un siècle de persuasion de masse, qui fait suite à son ouvrage Propagande. La manipulation de masse dans le monde contemporain, à l’occasion duquel il avait déjà participé à un Café Histoire, « Histoire de la propagande à l’ère numérique, des années 1990 à nos jours« , dont la vidéo est disponible sur ce site.  

Compte-rendu

Lorsqu’on observe les images de Vladimir Poutine aujourd’hui, on constate qu’elles reprennent certaines caractéristiques des images de Staline. Elles expriment notamment la force. En Russie, il n’existe pas d’espace public au sens strict et d’espace de critique du pouvoir, comme aux États-Unis. Il n’existe pas non plus de libre marché. Des mathématiciens et des physiciens sont mis à la disposition du pouvoir pour réfléchir sur la propagande.

Les Soviétiques se concentrent sur la perception des messages davantage que sur leurs méthodes de diffusion, selon les principes de Norbert Wiener. Depuis 1990, ils protègent strictement leur sphère informationnelle de l’ingérence étrangère. Poutine considère en effet qu’il y a une ingérence américaine de déstabilisation. Il faut unir les Russes autour d’un projet fédérateur, c’est-à-dire la haine de l’Occident, considéré comme décadent.

Mais il faut aussi perturber la sphère informationnelle de l’ennemi. La maskirovka est ainsi l’art de la désinformation militaire. Les actions menées par les services de renseignement qui visent à influer le cours des événements sont appelés « mesures actives ». L’un des buts essentiels pendant la Guerre froide fut de dénigrer le modèle américain en mettant en exergue le racisme et les failles du libéralisme. Des théories du complot furent mises en œuvre, par exemple l’opération Infection pour démontrer que le Sida avait été produit dans un laboratoire américain.

Poutine a introduit dans l’administration de nombreux anciens du KGB ayant l’expérience de la manipulation psychologique. Le numérique a doté la propagande russe d’un mégaphone extraordinaire, avec une capacité d’influence bien au-delà de sa puissance réelle. Depuis 2011, la Russie soutient tout ce qui peut déstabiliser les États-Unis pour que l’image du chaos occidental soit répercutée auprès de la population russe. C’est notamment ce que font RT et Spoutnik, en diffusant de la confusion informationnelle. Alors que la propagande soviétique s’appuyait sur des faits, il s’agit désormais de faire prévaloir des points de vue subjectifs, considérés comme aussi légitimes que les autres.

Antoine Boulant

Informations pratiques et conditions d’entrée

Port du masque obligatoire !? (on verra…)

• Inscription par mail uniquement : cafes.histoire@gmail.com
• Participation : 10 € / personne || 5 € pour les étudiants, chômeurs et retraité(e)s en difficulté. (cette participation permet à l’association d’organiser ses conférences et débats). Versement en espèces ou par chèque le soir de la conférence.
• Consommation obligatoire à l’entrée du café, sinon nous ne pourrons plus organiser d’évènement dans ce lieu pourtant bien sympathique ! Merci de votre compréhension.
• Lieu : Café Restaurant « Au Vieux Châtelet », 1 place du Châtelet, 75001 Paris.
  • Métro Châtelet, lignes 1, 4, 7, 11 et 14.
  • RER A, B et D
  • Bus 21, 38, 47, 58, 67, 69, 70, 72, 74, 75, 76, 81, 85 et 96.
• Date : lundi 23 mai 2022
• Heure : de 20h à 21h30

La propagande russe de 1917 à nos jours
Un Café Histoire organisé par l’association Thucydide / Cafés Théma