[PARIS] Les intellectuels SS dans l’appareil nazi – Seconde date
En raison d’une forte demande d’inscriptions, Christian INGRAO revenait le 12 novembre pour évoquer l’histoire du nazisme sous un angle méconnu : celui des intellectuels SS
Juristes, économistes, linguistes, philosophes ou historiens, ils ont été nombreux, ces intellectuels allemands, éduqués, cultivés, à choisir de s’engager au sein des organes de répression du Troisième Reich. Ils ont théorisé et planifié l’élimination de vingt millions d’individus de race prétendument « inférieure ». Comment et pourquoi ces personnes « éduquées », ces intellectuels, ont-ils pu glisser vers l’innommable, alors qu’ils étaient censés posséder les clés de compréhension de cette idéologique destructrice qu’était le nazisme ?
C’est à ces questions – et aux vôtres – que l’historien Christian INGRAO, spécialiste du nazisme et du phénomène guerrier, est venu répondre pour la seconde fois !
Vidéo
Montage : François Prieux
L’intervenant
Christian INGRAO est directeur de recherche au CNRS et a dirigé l’Institut d’Histoire du Temps Présent de 2008 à 2013. Spécialiste du nazisme et du phénomène guerrier aux XXe et XXIe siècles, il enseigne à l’IEP de Paris. La plupart de ses ouvrages traitent de la violence de guerre et de ceux qui les commettent, les bourreaux, dans le cadre du second conflit mondial. L’idéologie nazie, les membres du parti nazi, et parmi eu les intellectuels, font l’objet de recherches récentes, dont il est devenu l’un des pionniers en France.
Ouvrages
- Les chasseurs noirs. Essai sur la Sondereinheit Dirlewanger, Perrin, 2006.
- Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS, Fayard, 2010.
- Le Nazisme et la guerre, Éditions Le clou dans le fer, 2011.
- La Promesse de l’Est. Espérance nazie et génocide (1939-1943), éditions du Seuil, 2016.
- Avec Johann Chapoutot : Hitler, PUF, 2018.
Compte-rendu du Café Histoire « Les intellectuels SS dans l’appareil nazi »
La participation de nombreux intellectuels allemands à l’appareil nazi n’est pas en soi une originalité. À toutes les époques de violences extrêmes au cours du XXe siècle, des intellectuels se sont personnellement impliqués dans l’organisation de la répression. L’explication purement psychologique est insuffisante pour expliquer ce phénomène et il faut tenter de trouver d’autres outils, notamment au sein de la sociologie.
Linguistes, sociologues, écrivains, diplômés de l’université sont très nombreux au sein de la Gestapo et des autres organismes nazis de répression. Sur un échantillon représentatif de 80 personnes, on constate que la plupart sont de la même génération (nés entre 1900 et 1910) et qu’ils ont donc connu le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Il est fondamental d’étudier l’enfance de ces personnages, marquée par une violence de masse ayant causé la mort de trois mille personnes par jour en moyenne et ayant touché les fils et non plus les parents, violence à laquelle vient s’ajouter une surmortalité au sein des femmes et des enfants. Les futurs intellectuels du nazisme perdent un parent lors du conflit et se laissent convaincre que l’existence de la nation est entièrement conditionnée par la destruction de ses ennemis, dans le cadre d’une lutte du bien contre le mal absolu incarné par les Français et les Anglais. La défaite de l’Allemagne apporte la désillusion et détruit les promesses de la guerre.
Entre 1918 et 1924, la société allemande se brutalise progressivement et de nombreux citoyens détiennent des armes. Des heurts éclatent dans plusieurs régions et le territoire allemand est de nouveau occupé par les Belges et les Français, ce qui exaspère les tensions et renforce la conviction que la France a élaboré un plan d’anéantissement de l’Allemagne. Les jeunes élites basculent peu à peu vers un nationalisme violent. Plus d’un étudiant sur deux donne désormais sa voix à un organisme nationaliste ou antisémite, dans la perspective de déclencher une révolution. Le parti nazi se distingue tout particulièrement, notamment par l’origine populaire des membres des Sturmabteilung (SA). Il aspire progressivement les élites, grâce à sa cohérence idéologique et à la grille de lecture du monde qu’il propose sur une base raciale. Sa vision de l’histoire est centrée sur une guerre ethnique entre les peuples nordiques et les autres peuples, notamment les juifs. Se répand la conviction que l’Allemagne a été vaincue par un complot tramé par les juifs de France, de Wall Street et de la Russie bolchévique. Le nazisme prévoit la régénération de la société sur la base de l’espace vital, de la communauté du peuple expurgée des minorités et du Reich millénaire. L’angoisse est ainsi transformée en espoir. La croyance nazie est extrêmement attractive, tout particulièrement sur les intellectuels. La Schutzstaffel (SS) les attire tout particulièrement, car elle offre des postes intéressants et une véritable ascension professionnelle.
À partir de 1939, avec l’invasion de la Pologne, les nazis ont le sentiment de revivre un nouvel épisode de la Première Guerre mondiale qui aboutira à leur revanche. En juin 1941, l’opération Barbarossa marque un tournant : pour les intellectuels, elle constitue l’offensive essentielle contre le judéo-bolchévisme, dont dépend entièrement l’avenir de l’Allemagne.
Documentation
Télécharger le livret documentaire distribué lors de ce Café Histoire
(définitions, biographies, schéma, citation, bibliographie)
Les intellectuels SS dans l’appareil nazi,
un Café Histoire organisé par l’association Thucydide / Cafés Théma
Intervenants
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Christian INGRAO